Romain Kervoelen - 24 août 2023
Danielle Aspis devant l’œuvre "Mon arbre Série 6 A34"
Il y a quelques semaines, nous nous sommes rendus chez Danielle Aspis, une photographe-artiste basée à Sèvres. Lors de cet échange, elle a accepté de nous dévoiler son cheminement artistique, ainsi que ses explorations des multiples facettes de la photographie.
Depuis son plus jeune âge, Danielle rêve de devenir photographe, influencée par son père lui-même photographe. Dès ses 13 ans, elle commence à travailler dans un salon de coiffure pour s’offrir son premier appareil photo : un reflex Minolta. Une fois bien équipée, elle commence à prendre des photos de ses amis en colonie de vacances.
Cette passion pour la photo devenant une vocation, elle décide de peaufiner ses connaissances en intégrant une école de photo. Elle tente d’intégrer l’école de photo parisienne, Louis Lumière mais n’y parviens pas. Elle décide alors de se reconnecter avec ses racines et part étudier à Jérusalem. Elle rejoint l’Université Hébraïque de Jérusalem pendant 2 ans, puis intègre l’Hadassah Community College, une école de photographie, pendant 2 ans aussi.
Une fois de retour en France, à la fin de son cursus, elle continue ses études à l’Université Paris VIII et se spécialise dans la photo de théâtre. Pendant cette période, elle fait de la photographie de théâtre, de représentations et des portraits de comédiens. Après ses études universitaires en Esthétique, elle commence à prendre des photos en studio ; des packshot, et réalise des reportages dans l’évènementiel. Mais son parcours universitaire ne s’arrête pas là, elle soutient sa thèse en 2014, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales sous la direction de Jean Dhombres. Sa thèse porte sur les images scientifiques.
Par la suite, elle continue à faire des reportages de photos de théâtre, notamment en 2014 pour la pièce "Mataora", une pièce qui raconte le périple de 140 boursiers français fuyant la Grèce, alors dans un climat de guerre, en 1945. Elle s’essaie aussi au reportage de mode en assistant et en photographiant quelques défilés Haute Couture.
Photo issue d'une représentation de la pièce "Mataora", Danielle Aspis
C’est environ à cette période, dans les années 2000, que Danielle diversifie son art et s’intéresse à la peinture acrylique et à l’huile.
« C'est vrai que par rapport à la photo, où justement c'est figé, vous êtes libre de mettre les couleurs comme vous voulez et de faire des choses un peu selon votre intuition et votre inspiration. »
Pendant cette période, elle peindra deux séries, mais reviendra rapidement et exclusivement à la photographie.
MEMORIES, ONE, Peinture acrylique et huile, 60x60 cm, 2005, Danielle Aspis
Depuis 2019, elle est également diplômée en Sciences, Technologies, Santé, dans le domaine de la Suicidologie, de l’Université Paris Cité. Parallèlement à ce diplôme universitaire, elle fonde avec son frère, l’Association Esther Lumière. Cette Association, qui leur tient à cœur, a vocation à sensibiliser et prévenir autour de ce sujet encore tabou, qu’est le suicide. Danielle s’y investit grâce à l’art thérapie spécialisé pour les personnes souffrant de pensées ou ayant des pathologies suicidaires.
Danielle a un parcours très riche et diversifié, et il faudra attendre 2020 et le premier confinement pour qu’elle se tourne vers l’Art Numérique. Comme nous tous à cette période, Danielle a dû trouver des occupations et elle s’est replongée dans de vieilles photos. Elle a commencé à y faire des retouches, et à créer ainsi ses premières œuvres numériques.
Danielle aime sortir de sa zone de confort, se réinventer et découvrir de nouveaux aspects et points de vue dans la photographie.
« Je ne m’endors pas sur mes lauriers, j'adore explorer de nouveaux aspects, de nouvelles pratiques dans la photographie. C'est un peu comme un défi de toujours revenir à zéro et se redéployer. »
Pour ses photos, Danielle n’a pas de processus créatif à proprement parlé. En dehors de sa pratique commerciale où elle doit respecter une demande spécifique, pour sa pratique artistique, elle fait davantage confiance à son instinct.
Elle prend des photos de tout ce qui l’entoure comme la ville par exemple, sans avoir une stratégie précise, ni de réflexion ou d’organisation artistique avant et pendant la prise de la photo. Elle va ensuite les retoucher pour leur donner un aspect très différent.
Elle aime se replonger dans ses anciennes photos de paysages ou d’objet lorsqu’elle est tranquille, posée. Ses temps libres sont pour elle l’occasion de commencer la retouche l’esprit tranquille et de laisser libre cours à son imagination instinctive.
Lors de la retouche de ses photos, elle aime jouer avec la couleur. Elle s’amuse à saturer et à désaturer ses images. Elle aime aussi transformer les formes pour obtenir un résultat qui se rapproche de l’abstraction. Au-delà de ces deux étapes récurrentes dans son processus de création, le travail de retouche de Danielle reste très intuitif. En commençant à travailler une photo elle ne sait jamais quelles couleurs et quelles formes elle obtiendra à la fin.
« Le plus important dans le travail de retouche, c'est savoir s'arrêter. C'est ça, c'est le moment le plus important, parce que là, vous savez que c'est bon, la photo est parfaite et que continuer la retouche pourrait tout gâcher. »
Le bureau de Danielle, où elle fait ses retouches
Dans sa pratique commerciale, Danielle n’a jamais vraiment expérimenté la retouche photos et l’infinité de possibilités qu’elle offre. « La retouche, c'est venu un peu par hasard, en fait. »
Tout a commencé avec son frère, ce dernier avait besoin de retouche sur des photos dans le cadre de son activité. Il s’est donc naturellement tourné vers sa sœur photographe pour l’aider. Suite à cette collaboration familiale, son frère lui conseille de persévérer dans la retouche. C’est comme ça que Danielle a commencé dans la retouche photo qui l’a tout de suite passionné.
"La Machotte palme sirène", Danielle Aspis
Pour son travail et sa pratique de la photo en général, Danielle s’inspire de plusieurs artistes, œuvres, plusieurs mouvements artistiques et plusieurs pratiques différentes.
Le travail des formes dans la peinture abstraite a inspiré Danielle : « Le passage de l'art moderne à l'art abstrait a été important pour moi. Quand on voit, d’un coup que les peintres commencent à changer les sujets et peindre des formes géométriques, c’est très inspirant. »
L’artiste a aussi été marqué par le mouvement de la photographie humaniste, et en particulier par le travail des photographes de l’Agence Magnum, mouvement majeur du XXème siècle. Ce mouvement a été initié par 4 des plus grands photographes contemporains : Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, George Rodger et David Seymour. Avec cette coopérative, leur objectif était de protéger leurs droits d'auteurs et d'éviter une réutilisation de leurs images. Ces photographes d’exception ont pu couvrir des moments historiques comme la guerre du Vietnam, des personnalités majeures comme Marylin Monroe, des mouvement philosophiques et politiques et ils ont partagées leurs photographies au reste du monde. Les photographes de Magnum ont immortalisé la seconde moitié du XXème siècle en explorant tous les sujets du crime à la politique, et de la célébrité à la pauvreté. Aujourd’hui, on peut qualifier leur travail de documentaire.
« Ça a fait bouger les choses, ça a fait prendre conscience de ce qui se passait dans le monde. C'était un mouvement engagé. »
Bruce Davidson, A young African American man with the word "VOTE" on his forehead during the Selma March. Alabama, USA. 1965.
Danielle aime aussi beaucoup le travail coloré de l’artiste peintre Karel Appel et la façon dont il revisite les formes du corps.
Karel Appel - "On voit marcher les couleurs," Karel Appel
Danielle admire aussi le travail de Cindy Sherman, une photographe américaine, qui est d’ailleurs sa plus grande muse. Ce qu’elle aime le plus chez cette photographe c’est sa capacité à toujours se réinventer. Danielle suit son travail sur Instagram et ne rate jamais une occasion d’aller voir ses œuvres lors de ses diverses expositions.
La photographe Cindy Sherman - Untitled, Série de clown, Cindy Sherman
À travers ses paysages et ses sujets saturés, Danielle arrive à capturer l’instant présent et à le transformer en une œuvre intense et abstraite.
Danielle travaille sur différents thèmes et toujours sous forme de séries.
"La Machotte Matelas", Danielle Aspis
Amsterdam Vélos C1", Danielle Aspis
Dernièrement, Danielle a réalisé une série de photos à Tel Aviv. Elle s’est amusée à photographier les rues en travaux de la ville, poussée par sa réflexion suivante : comprendre à quel point l'homme a un impact sur les choses, sur la ville, sur les paysages ? La ville en transformation est alors devenue un sujet. Les trous dans le sol, les panneaux « danger », les fils électriques, absolument tout.
« C’est une manière de faire du documentaire, de représenter ce qui va changer, ça laisse des traces. Et donc, même si je dépasse cet aspect documentaire par la retouche avec Photoshop, c'est ça qui reste présent. »
"Tel-Aviv, Sacana, Série 6, M28", Danielle Aspis
L’artiste est d’ailleurs retournée là-bas pour poursuivre son travail artistique et documentaire. L’idée de ce deuxième voyage est d’immortaliser les changements : les travaux finis, ceux qui ont commencé et les inachevés qui ont tout de même avancé. Danielle ne sait pas vraiment encore ce qu’elle va photographier et à quoi ressemblera son travail terminé, comme toujours elle se laisse pousser par son instinct. Elle capture un moment, un sujet et le retravaillera sur Photoshop. Une chose est sûre, une nouvelle série de Tel Aviv verra le jour mais reste à savoir sous quel forme…
Photo originale des rue de Tel Aviv, Danielle Aspis
Après avoir passé plus de 30 ans à explorer chaque aspect de la photographie et à en tirer des apprentissages, Danielle aimerait bien transmettre ce savoir et ouvrir une réflexion philosophique sur l’art de la photographie au sens le plus large possible.
Son expérience si riche dans la photographie va nourrir son prochain projet. Marqué par sa thèse lors de ses études, l’artiste nous a confié qu’elle aimerait renouer avec l’écriture et parler de la photographie. Son but serait de théoriser chaque aspect et pratique de la photo, leurs influences, leurs conséquences, leurs apports et leur utilité sur la société.
Ce projet témoigne aussi de l’importance des études et de l’apprentissage dans la vie de Danielle qui s’apprête donc à entamer un véritable travail de recherche, de réflexion et de philosophie, à l’image de l’exercice de la thèse.
« Pour moi, les études, c'est un cheminement de vie. C'est plus que ce que l'on apprend dans son métier. Ça vous permet d'avancer, de réfléchir et, ça vous transmet des valeurs et une éducation qui vous serviront toute votre vie. »
« La couleur, l’abstraction et la persévérance »
Cela fait un peu moins d’un an que The Art Cycle travaille avec Danielle Aspis.
« C’est intéressant de proposer des locations ou des locations/ventes. Ça permet effectivement aux personnes qui veulent acheter une œuvre de payer en plusieurs fois ou alors de garder une œuvre 3 mois et d’en changer. En plus, la galerie essaie de valoriser la carrière de l'artiste à travers des expos, des articles et ses réseaux sociaux. Ça donne un côté plus vivant. Je trouve que c'est très positif et c'est très encourageant pour nous les artistes. »
On peut résumer le parcours de Danielle par une soif insatiable d’apprendre. Elle a poussé ses études, d’abord dans la photo puis dans les sciences et enfin dans la Suicidologie. Une fois photographe, elle ne s’est pas cantonnée à un style ou à une pratique, elle a vraiment touché à tout, de la photo de théâtre à la photo scientifique, de la photo de paysage à la photo en studio, de la photo commerciale à la photo artistique. Danielle n’a cessé de se réinventer, poussée par sa curiosité et cette envie d’apprendre.
Chez The Art Cycle, nous sommes ravis d’entretenir des liens de confiance avec des artistes passionnés comme Danielle et de les aider à mettre en avant leurs œuvres et leur talent.
Un grand merci à Danielle pour cet échange captivant.
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