Cyrielle Bisson - 04 Juillet 2019
À sa fondation en 1960, Pierre Restany définit le mouvement du Nouveau Réalisme comme « la mort de la peinture de chevalet ». En d’autres termes, le critique s’insurge contre la représentation purement figurative de l’art, et lui privilégie la « passionnante aventure du réel perçu en soi ». Exit la transcription fidèle et ennuyeuse des objets du réel, bonjour la fragmentation des œuvres et le détournement des supports. C’est en prenant appui sur un retour à la réalité que le Nouveau Réalisme s’oppose au lyrisme figuratif de l’art abstrait, très populaire à l’époque.
Philosophe, Jean Tinguely, 1954
Perçu comme une « nouvelle manière d’aborder le réel », le mouvement avant-gardiste marque un pont entre l’art et ses inspirations sociales bien plus contemporaines.
Comme en filigrane, les questions sans réponses du 20ème siècle définissent le mouvement. Parmi ces thèmes se dégage notamment l’avènement d’une société d’après-guerre découvrant les facettes cachées de la consommation et de l’industrialisation.
Au sein d’une époque en mutation, le Nouveau Réalisme est donc plus spirituel, plus audacieux, et surtout plus moderne. Ses artistes renient alors la simplicité de la peinture et de la sculpture pour se tourner vers le bricolage et le mixage hybride des matières, tout en prônant le « matériau comme objet».
En définitive, pas moins de 20 artistes signent le « Manifeste du Nouveau Réalisme » publié en 1960 par Pierre Restany. Parmi eux on retrouve Niki de St-Phalle et ses « nanas », le précurseur du pop art Martial Raysse, Jean Tinguely l’homme qui sculptait des machines ou encore le très connu Yves Klein.
Soudain l’été dernier, Martial Raysse, 1963
Yves Klein s’est sans nul doute démarqué de ses pairs par la diversité des techniques utilisées.
Né en 1928 à Nice, l’artiste se tourne dans les années 50 vers l’art et entame son « périple monochrome ». Présentées en 1955 au « Club des Solitaires » (salon d'art de l'époque), ses toiles d’une seule et même couleur marquent les esprits. En assumant cette épuration, Yves Klein revient aux sources même de l’art et libère la couleur. L’artiste quitte le figuratif pour rentrer dans le monde de la sensibilité, où l’expression prime sur la forme et l’esthétique.
Monochrome rouge - Sans titre, Yves Klein, 1957
Par la suite, la carrière d’Yves Klein pourrait être résumée par l’expression : « aucune limite, rien que le dépassement ». Son œuvre se confronte aux profondeurs du vide, en particulier lorsqu’il expose dans une galerie parisienne repeinte tout en blanc. La foule crie au scandale, mais laisse cette suite de salles couleur blanc-monochrome titiller ses repères et sa rationalité.
Enfin, Yves Klein ne s’arrête pas là dans l’absence de matériaux. Refusant la « ligne » des pinceaux qu’il juge trop sévère, l’artiste préfère célébrer le corps humain à travers sa technique des « pinceaux vivants ». Sur ses toiles, les formes féminines deviennent un outil à part entière et les membres tracent les plus belles courbes.
Anthropométrie de l’Époque Bleue (ANT 82), Yves Klein, 1960
Tout au long des années 50, l’artiste plasticien joue avec les monochromes (œuvres peintes d'une seule couleur) et les techniques avant de miser plus particulièrement sur le bleu. Ce fameux bleu Klein représente en effet la consécration de l’art dans la matière, un des thèmes de prédilection du Nouveau Réalisme.
Sa création est à la fois une symbiose et un coup de génie. En 1960, Yves Klein aidé par son ami et marchand de couleur Edouard Adam, a l’idée d’associer le bleu outremer à un liant capable de modifier sa couleur.
Le bleu Klein voit donc le jour à quatre mains, grâce à une volonté de pousser plus loin les limites de l’art vers l’innovation et la technologie.
La Vague & couleur pantone, Yves Klein, 1957
En définitive, l’œuvre monochrome d’Yves Klein explore de nouveaux horizons artistiques.
D’une part, l’art n’a plus besoin d’être représentatif pour exister. Chacun peut donc plonger dans l’infini monochrome comme il lui plait et l’interpréter selon ses désirs.
De l’autre, ce bleu interprétable de mille et unes manières reste mondialement identifiable. En définitive, le bleu Klein devient indirectement l’artiste en lui-même, sorte de consécration pour celui qui percevait la beauté à l’état invisible « dans l’air comme la matière ».
La Vénus d'Alexandrie (S 41), 1962/1982, Yves Klein
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