31 Mars 2022
Photo de Coco Chanel et Salvador Dali
Peut-on considérer la mode comme une technique artistique ? Malgré tous les débats à ce sujet, cette question reste encore aujourd’hui sans réponse définitive. Certains acceptent le caractère artistique du secteur, d’autres refusent entièrement cette inclusion, et enfin le reste se demande si tout « vêtement » peut être vu de la même manière qu’une œuvre d’art.
Depuis les débuts de la civilisation, les frontières entre l’art et la mode ont toujours été étroites. D’un côté, l’art se caractérise par quelque chose qui touche « aux sens, aux émotions, aux intuitions et à l’intellect ». De l’autre, la mode se définit comme un « reflet de la société », une façon de remettre en contexte des événements et les évolutions de l’histoire. Ces deux définitions, qui ne sont pas absolues, nous permettent de réfléchir sur les premiers rapports entre l’art et la mode.
C’est durant l’Ancien Egypte qu’on voit surgir les premières exigences vestimentaires. En effet, pour les Égyptiens, l’apparence allait de pair avec la propreté et constituait une manière de se différencier dans l’échelle sociale. Plus une personne se trouvait en haut de l’échelle, plus l’accumulation d’habits était importante. Un homme représenté torse-nu était donc majoritairement ouvrier, tandis qu’une femme ou un homme riche, portait des tuniques, des bijoux, des foulards et plus encore.
Les motifs qu’on retrouve sur les tuniques de cette période étaient d’une certaine finesse et porteurs d’une colorimétrie presque parfaite, et les tissus montraient un travail iconographique impressionnant, reflet d’une maîtrise de la technique bien développée.
Dans la continuité de l’usage du vêtement comme objet ostentatoire, les Grecs apportaient beaucoup d’importance à la tunique dans leur routine vestimentaire. Leurs habits et ornements permettaient également de les situer selon l’endroit d’où ils venaient. Les bijoux détenaient une place primordiale dans leur manière de s’habiller : leur design très divers laissait place à une distinction nette entre chaque classe sociale et zone géographique. Inspirée par ce style, en 2017, Chanel organise un défilé au Grand Palais, mettant au centre la mode à la « façon Grèce Antique ».
Défilé de la collection 2017-2018 de Chanel
S’influençant des tendances byzantines et arabes, la mode au Moyen-Âge marque des changements remarquables dans la manière de s’habiller : c’est l’avènement du vêtement « féminin » et « masculin ». En effet, durant cette période, l’homme et la femme ne s’habillent plus du tout de la même façon. L’une des caractéristiques principales de l’esthétique vestimentaire féminine était par ailleurs le fait de devoir se couvrir le plus possible, notamment pour « préserver » sa pudeur. Enfin, le Moyen-Âge marque également l’arrivée des jupes italiennes, symbole du début d’une autre période : la Renaissance.
Le couturier Charles Frederick Worth @ Credits photo Nadar
C’est au milieu du XXème siècle qu’on commence à voir les premières influences directes de l’art sur la mode, notamment à travers l’apparition de la haute couture. C’est à Charles Frederick Worth, couturier français d’origine anglaise, qu’on doit l’avènement de la mode comme industrie artistique. À l’instar des époques précédentes, Charles utilise le vêtement comme objet d’ostentation et de beauté mais sous une forme entièrement nouvelle.
Intérieur de l’atelier de Charles Frederick Worth - laboiteverte.fr
Charles commence sa carrière de couturier en tant qu’apprenti dans différents commerces de Londres. Grand passionné de l’art, il visite régulièrement le musée de La National Gallery, dans lequel il passe son temps à s’émerveiller face aux robes présentes sur les peintures à l’huile illustrant reines et aristocrates. C’est dans ce lieu que Charles voit apparaître ses premières inspirations qui par la suite font naître des créations au succès indiscutable, à Londres comme à Paris.
Robe de mariée portée par Clara Mathews en 1880
À peine âgé de 20 ans, il débute dans une grande entreprise de textile qui lui permet d’ouvrir sa première boutique à Paris. Ses travaux font rapidement le tour de la ville et lui permettent d’inaugurer ses créations pionnières dans la Grande Exposition à Londres en 1851, puis quelques années après, dans l’Exposition Universelle de Paris en 1855. Sa réputation s’élève davantage avec l’arrivée de l’impératrice Eugenia, épouse de Napoléon III, qui devient l’une de ses principales clientes.
Il faut savoir que Charles est l’un des premiers couturiers à introduire le concept des « vêtements sur mesure ». Ces nouvelles manières de créer des vêtements sont la base de l’avènement de la haute couture, qui se définit notamment pour son caractère unique.
Étiquette de Charles Frederick Worth
Le couturier anglais est donc celui qui met en place le concept de rareté dans la mode de l’époque. Ses créations sont d’abord confectionnées pour ses modèles qui défilent, puis retaillé selon les mensurations de chacune de ses clientes. Cela voulait dire que chaque vêtement était différent, et étant donné que tout était réalisé manuellement, il était impossible de reproduire ses créations en grande quantité.
Ses travaux sont les premiers à être reconnus comme œuvre d’art. Les choix du couturier l’emportent sur les envies du client : le couturier devient maître de sa création. Sous la forme d’une étiquette, il commence également à ajouter sa propre signature sur chacune de ses créations, tout comme un artiste le fait sur un tableau.
L’art a toujours été l’une des principales sources d’inspiration pour les passionnés de mode. Nombreux couturiers ont notamment fréquenté des artistes durant toute leur vie. C’est le cas de la très fameuse Coco Chanel, qui entretenait des relations à la fois amicales et professionnelles avec plus d’une dizaine d’artistes connus tels que Igor Stravinsky, Pablo Picasso ou encore Salvador Dali. La créatrice de mode s’inspirait constamment d’événements et de vagues artistiques de l’époque pour mettre en œuvre ses pièces. Aujourd’hui encore considérée comme la « pièce emblématique du vestiaire moderne », la « petite robe noire » nous rappelle les caractéristiques de l’Art Déco, un art très tendance de l’époque.
La petite robe portée par Romy Schneider
À la fois grand nom de la haute couture et grand passionné d’art, Yves Saint Laurent était également connu pour posséder plus de 700 œuvres d’art. L’une des pièces les plus connues du couturier est un hommage direct à l’un des pionniers de l’abstraction, l’artiste peintre néerlandais Piet Mondrian. Reprenant chaque détail de la peinture, « Hommage à Mondrian » est l’un des meilleurs exemples d’association entre art et mode.
« Hommage à Mondrian » de Yve Saint Laurent @ Pierre Verdy
Aujourd’hui, on ne compte plus le nombre de collaborations s’étant réalisées entre art et mode. Les plus récentes sont par exemple Louis Vuitton avec l’artiste plasticien Jeff Koon, faisant hommage aux principales figures de la peinture, Alessandro Michele avec Gucci qui nous font revivre le style de la renaissance sous un style androgyne, ou encore la « collection capsule » de l’artiste Liu Wei avec la maison Max Mara.
Nombreux artistes participent également à la customisation de vêtements, un concept plutôt récent et qui consiste à personnaliser le vêtement avec sa propre touche artistique.
Pour le lancement d’une des pièces de sa nouvelle collection, Levis a notamment fait appel à l’artiste Oli-B pour personnaliser une veste.
Veste Levis customisée par l’artiste Oli-B
Certains artistes de la galerie sont familiers avec cette pratique, c’est notamment le cas des artistes Chiron Deal et Mabo.
Photo de la prochaine collection de Chiron Deal @ Rein Langeveld
Artiste peintre parisien, Chiron Deal créé des œuvres colorées illustrant des « labyrinthes graphiques imbriquant des petits personnages tous connectés par un lien ». De nature très polyvalente, Chiron personnalise régulièrement différents objets, tels que des motos, des tote-bags ou encore des tables. L’artiste prévoit aussi d’inaugurer sa première collection de vêtements courant 2022.
Photo d’une veste de la collection de Mabo @ Lea New Zealand
Également artiste peintre de la galerie, Mabo a ouvert sa propre collection de vêtements en novembre 2021. Mettant au centre des vêtements upcyclés peints à la main, l’artiste française customise des vestes en utilisant les motifs floraux et minéraux qu’on retrouve souvent dans ses peintures.
Inspirations, collaborations et customisations, l’art et la mode se sont croisés pour de multiples occasions durant ces derniers siècles. Toujours à l’affût de l’actualité, la mode est un art qui ne cesse d’évoluer et de nous surprendre tout comme l’art !
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