Oriane Auzerie Dubon - 14 Janvier 2021
Photo credit @Giancarlo Botti
Niki de Saint Phalle, figure féminine du Nouveau Réalisme aura marqué le 20ème siècle par ses nombreux combats qu’elle retranscrira dans son œuvre tout au long de sa vie d’artiste.
Niki de Saint Phalle est une artiste plasticienne franco-américaine née en 1930 à Neuilly-sur-Seine dans une famille française bourgeoise. D’abord mannequin, puis peintre, sculptrice et réalisatrice, Niki de Saint Phalle est connue pour des œuvres à la fois provoquantes, colorées, parfois dénonciatrices mais aussi pleines d’espoir. Femme profondément indépendante et révoltée, toute sa vie et son œuvre n’auront de cesse de dénoncer les injustices.
Mère de deux enfants, ce n’est qu’à plus de soixante-ans, qu’elle révèlera dans un livre adressé à sa fille, les viols et l’inceste qu’elle a subis par son père alors qu’elle n’était encore qu’une jeune adolescente. Cet épisode, découvert tardivement par le grand public, permettra d’expliquer véritablement nombre de ses œuvres et de ses combats.
Née dans l’aristocratie française et éduquée dans une institution religieuse, elle va rapidement se rebeller, refuser les conventions qu’on lui impose, se lever contre les inégalités et les injustices et rejeter la place de femme au foyer que lui prédestinait ce milieu. À 18 ans elle va s’enfuir avec le poète Henry Matthews avec lequel elle aura ses deux enfants. Peu après, alors qu’elle n’a que 22 ans, elle sombre dans une grave dépression nerveuse et se fera alors interner dans un hôpital psychiatrique du Sud-Est de la France, à Nice.
C’est cet événement qui va la conduire jusqu’à l’art. En effet, et n’ayant jusqu’à présent suivi aucune formation artistique, elle va commencer à ce moment-là, et encouragée par les médecins, à dessiner ce qu’elle ressentait de la société, son mécontentement et sa colère. L’art va alors la sauver des électrochocs et devient pour elle thérapeutique et cathartique. C’est un véritable exutoire autobiographique à sa colère et à sa maladie.
Une fois sortie, elle va rencontrer l’artiste suisse Jean Tinguely, qu’elle ne quittera plus, et avec qui elle vivra une histoire passionnée à la fois d’amour mais surtout et plus que tout artistique. C’est l’absence de tabou social qui va les rassembler. Jean va pousser Niki à la création, lui disant que la technique n’est rien et qu’elle peut s’apprendre tant que l’idée et le génie sont là chez les artistes.
Au moment où ils s’installent ensemble, rapidement après leur rencontre, apparait l’envie à Niki de faire « saigner la peinture ». Jean lui achète alors une carabine et pendant deux ans elle va s’adonner à ses « Tirs » , à la croisée entre la peinture, la sculpture et la performance.
Elle construit en plâtre des formes qu’elle va peindre d’un blanc impeccable et les remplir de peintures de couleur. Ainsi quand elle tire dedans, la peinture explose et se répand partout.
Niki de Saint Phalle devant ses "Tirs"
Elle tire dans la peinture, qu’elle considère comme sa victime qui se met à saigner. C’était en réalité sur la société et ses injustices, sur les hommes, sur son père ou son frère qu’elle tirait. C'était même parfois sur elle-même qu’elle s’imaginait tirer ; devenant ainsi sa propre victime.
C’est avec ses « Tirs » que Niki de Saint Phalle va connaitre un succès rapide et international.
Elle intègre le mouvement du nouveau réalisme en 1961, duquel fait partie des fondateurs Jean Tinguely. Plusieurs artistes aux pratiques diverses forment ce mouvement en 1960 et le décrivent comme une prise de conscience « d’une singularité collective ». Effectivement, chacun a sa pratique artistique mais tous ont une grande liberté dans leur art et avec l’objet qu’il travaille. Ils s’approprient le réel, puis le déforment avec leur propre vision et liberté.
Photo credit @Jill Krementz
Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely vont souvent travailler ensemble. Parfois ils feront s’affronter leurs œuvres : elle avec ses Nanas qui représentent la figure féminine et lui avec ses machines qui représentent le masculin.
Jean va souvent aider Niki à la mise en forme et en proportion de ses œuvres monumentales. Il est ingénieur et lui apporte sa maitrise et son savoir-faire. Ensemble, ils tendent à renverser les codes anciens de l’histoire de l’art où la femme est au service de l’art de l’homme : ici, c’est souvent Jean qui met son savoir-faire au service de Niki.
Ils vont aussi faire ensemble des œuvres collectives. C’est notamment le cas de la « Hon » , réalisé en trio avec Per Olof Ultvedt en 1966 au Moderna Museet de Stockholm. Il s'agit d'une sculpture monumentale de 28m de long, 7m de largeur et 8m de hauteur.
La « Hon » qui signifie « Elle » est une femme géante, une « déesse païenne de la fécondité ». Ils construisent à l’intérieur plusieurs installations et les visiteurs y entrent par l’utérus. En entrant par le sexe de la sculpture, il s’agissait d’une ode à la féminité et à la reproduction.
Ce projet a été tenu secret jusqu’à l’ouverture de l’exposition, craignant que s’il était révélé, les autorités y mettent fin avec son ouverture.
Photo credit @pinterest
Jean Tinguely mit plus d’une fois son savoir-faire d’ingénieur au service des projets de Niki. Ce fut également le cas pour le Golem, commande qu’elle a reçu de la ville de Jérusalem de créer un air de jeux pour enfants. Ils créent ainsi une immense structure abritant trois toboggans, représentant alors les trois religions qui cohabitent en cette Terre Sainte.
Plusieurs de leurs proches témoignent que lorsqu’ils créaient, ils étaient dans un véritable état d’excitation, presque de trans, mais surtout de passion. Il y avait aussi entre eux une « compétition active et positive » où ils s’encourageaient mutuellement au dépassement de l’autre.
Refusant tous deux le monde bourgeois, ils disaient ne pas aimer l’argent mais que celui-ci leur servait à créer de nouvelles choses.
Ils créaient aussi des sculptures monumentales dans l’objectif de ne pas pouvoir être exposés dans les galeries : le monumental était exposé à l’extérieur ou dans des musées, permettant ainsi d’atteindre un large public et d’être donc accessible au plus grand nombre.
C’est ainsi que Niki de Saint Phalle devint dans les années 1960 une artiste engagée et populaire, reconnue internationalement, au même titre que Tinguely.
Engagée elle l’était partout, tout le temps et surtout dans ses œuvres d’art.
Elle est encore aujourd’hui le plus connu pour ses « Nanas » : sculptures monumentales aux couleurs ultra lumineuses qui représentent des femmes voluptueuses et conquérantes. Ces Nanas, c’est tout ça à la fois : l’émancipation des femmes, leur pouvoir, leur puissance, l’expression de leur corps, de leur beauté, et de leur mutation. Les formes arrondies, exagérées et l’utilisation de la couleur faisaient d’elles des symboles de femmes joyeuses, libres et sûres d’elles.
Niki était profondément féministe et enthousiaste, elle vivait son art, y exprimait ses opinions et ses idées, sans relâche et de façon toujours très poétique.
Sculptures "Nanas" de Niki de Saint Phalle à Hannover, Allemagne
À partir de 1980 et jusqu’à la fin de sa vie, Niki de Saint Phalle réalise un de ses plus grands rêves : le Jardin des Tarots , en Toscane.
Ce jardin, aux influences marquantes d’Antoni Gaudí, a été construit « pour rendre les gens heureux » et totalement autofinancé grâce à un parfum à succès auquel elle a prêté son nom.
Même s’ils ne vivent plus ensemble, Jean Tinguely aide Niki à la réalisation de ses sculptures, en donnant forme aux modèles de l’artiste. Niki disait qu’elle n’aimait pas les angles droits, qu’ils représentaient pour elle une société étroite et figée. Elle préfère les formes arrondies, qui lui rappellent la pureté de la nature.
Ce jardin est très poétique et ésotérique et comprends les vingt-deux arcanes majeurs du jeu du Tarot, représentées par de géantes sculpture encore une fois très colorées.
Photo credit @Laurent Condominas
Niki de Saint Phalle c’est l’histoire d’une femme libre, tourmentée par ses démons qu’elle arrivera à surmonter, grâce à son génie artistique et en les retranscrivant dans des œuvres qui crient leur liberté et la puissance de l’artiste.
C’est aussi l’histoire d’un « jeu d’amour » entre elle et un autre artiste, Jean Tinguely.
C’est enfin une voix qui s’élève contre les conventions, les inégalités, les injustices. Une artiste qui se saisit de causes, et qui les interprètent dans un travail à la fois autobiographique, cathartique et poétique.
PARTAGEZ CET Article !