Oriane Auzerie Dubon - 11 février 2021
Marina Abramović et Ulan, performance AAA-AAA, 1978
La performance est une pratique artistique compliquée à définir. En effet la difficulté de l’associer à une période ou à un courant artistique rend difficile sa définition précise.
Alors que certains l’associent aux avant-gardes du XXème siècle (dadaïsme, futurisme…) en la considérant ainsi comme une pratique interdisciplinaire, d’autres placent son apparition dans les années 1960-70 et la considèrent comme une pratique artistique indépendante renversant les codes de la représentation classique.
Cette difficulté de la placer dans un courant pourrait finalement faire partie de ses caractéristiques. Elle appartiendrait ainsi à son propre courant en étant une pratique fulgurante, éphémère qu’on pourrait dire « de l’instant ». La performance ne cherche pas à constituer une œuvre fixe, elle le réfute même, et semble donc insaisissable.
Les racines de la performance moderne apparaissent au moment du Dadaïsme, au début du XXème siècle, lorsque des artistes fondent en 1916 le Cabaret Voltaire à Zurich. Ce cabaret accueillait des performances expérimentales tels que des récitals de poèmes, des peintures en action etc…
Par ailleurs, son apogée semble être dans les années 1960 en Occident, période d’après-guerre de l’insouciance retrouvée et de l’explosion de la société de consommation.
Dans l’art de la performance on sort du cadre, on balaye les conventions, on déborde, on se met en action : le corps, la gestuelle, les mouvements deviennent l’outil des performeurs, qui rejettent les médiums tangibles, les techniques et les symboliques.
Le corps s’exprime, exprime une pensée, une idée sans pour autant que son auteur ne soit ni un comédien ni un danseur. C’est une nouvelle dimension artistique, l’art n’est plus seulement un objet.
La performance apparait donc comme un art subversif, presque provoquant et il n’existe que très peu de documentation complète, lui rajoutant ainsi de sa légende.
Bruno Pequignot, sociologue et professeur, tend à dire que si beaucoup tentent de trouver une définition et une origine c’est surement pour nier l’originalité de cet art subversif.
Il dit précisément « C’est une tendance constante que de vouloir toujours trouver une origine « primitive » à tout ce que la modernité propose, sans doute pour en nier l’originalité »
En effet, l’originalité de cet art en fait sa caractéristique. Contrairement aux arts plastiques il s’agit d’un art éphémère et fulgurant, « un événement censé ne laisser aucune trace, si ce n’est mémorielle ».
C’est un art qui refuse les traditions : on se sert de son corps, souvent de sa nudité, on exprime ses passions dans des lieux bien souvent non académiques et loin d’avoir été choisis au hasard. Avec la performance l’art sort des lieux d’expositions, des musées, où beaucoup ne vont pas. C’est un art qui sort dans la rue et c’est déjà là une revendication. C’est aussi cela qui permet de différencier la performance des autres arts vivants.
L’art dans la performance c’est l’artiste en train de faire une action. L’œuvre de la performance serait donc le moment de sa réalisation plutôt que le résultat. L’idée devient un geste plutôt qu’un objet plastique.
En effet, pour comprendre la performance on pourrait aussi s’intéresser à ses pratiques voisines.
Dans les années 1950-60 apparaissent les happenings. Il s’agit d’une représentation avec une pluralité d’acteurs intervenants qui font sur scène des actions hétérogènes, volontairement surprenantes voire provoquantes en prenant souvent à partie le public.
Contrairement à ces happenings, la performance serait, elle, plus concise, signifiante et fulgurante.
Les acteurs des happenings sont regroupés sous le nom Fluxus, réseau d’artistes pluridisciplinaires comprenant également musiciens et compositeurs.
À côté de ces happenings, il y a les Event, avec notamment Merce Cunningham. Il s’agit là d’un spectacle de danse produit dans tous types de lieux. On sort là aussi des salles de représentation classiques.
On peut également parler de l’improvisation. Perturbatrice comme la performance, l’imprévisibilité et l’aléatoire sont ses maitres mots. Toutefois, que ce soit dans l’improvisation ou dans la performance il ne faut pas s’y tromper, rien n’est fait au hasard, même si on en a parfois l’impression.
Il convient aussi de parler de l’installation. Apparue dans les années 1970, il s’agit d’une pratique où l’artiste conçoit le dispositif d’installation de ses œuvres. Souvent, il y a un contact actif avec le public : le public peut toucher, rentrer à l’intérieur de l’installation … La différence majeure avec la performance c’est que dans l’installation il y a la production d’un objet artistique.
Enfin, on peut évoquer le body art. Cette pratique implique quant à elle une implication directe du corps de l’artiste : il devient son médium et son terrain d’expression. L’intervention est là strictement corporelle et parfois extrême. Dans cet art, on pourrait notamment citer l’artiste Orlan.
L'artiste ORLAN
Saburō Murakami traverse les écrans de papier lors de la deuxième exposition “Gutaï” présentée à Tokyo en 1956
Parler de la performance artistique sans évoquer le mouvement artistique Gutaï du Japon serait une erreur.
Il s’agit d’un mouvement artistique d’avant-garde japonais apparu en 1954 dans la région du Kansaï.
Le terme provient de « Gu » qui signifie « instrument » et de « tai » qui signifie « corps ».
Un an plus tôt, en 1953, un de ses fondateurs, Yoshihara, rédigeait un essai intitulé « En marge de l’art abstrait » où il tend à montrer que certains artistes créés une fusion entre l’action et l’œuvre.
Dans ce collectif composé de plusieurs dizaines de personnes, chacun a sa pratique. Un s’élance dans le vide pour projeter de la peinture, une autre utilise le feu, un autre va lacérer le tableau etc.
Ils montrent ainsi que la création peut se produire de différentes façons, qu’elle n’a presque pas de limite. L’utilisation de son corps pour réaliser son œuvre prend tout son sens, la gestuelle est très importante.
Ce mouvement semble tirer ses origines du surréalisme et du dadaïsme et semble avoir inspiré plusieurs artistes comme Pollock.
Et si, pour comprendre la performance il fallait s’intéresser à certaines qui ont marquées l’histoire ?
Marina Abramović est une artiste serbe née en 1946 à l’origine de nombreuses performances qui auront marqué l’histoire de l’art et poussé au questionnement de notre société.
On pourrait notamment revenir sur sa performance intitulé « Rythm 0 ».
En 1974, l’artiste décide d’investir le Studio Morra à Naples où elle se livra à une performance risquée et sociale durant six heures. Complètement immobile elle se livra ainsi à l’envie, parfois barbare et cruelle du public.
Dans la pièce vide où elle se tient, elle disposa 72 objets, et une affiche de consignes sur laquelle on pouvait lire :
« Sur la table il y a 72 objets avec lesquels vous pouvez me faire ce que vous voulez.
Performance.
Je suis un objet.
Je prends la responsabilité de tout ce qui se passera durant ce laps de temps.
Durée : 6 heures (20h – 2h). »
Les objets sont répartis en deux catégories, ceux de plaisir et ceux de destruction. On pouvait notamment y trouver une rose, des plumes, du vin, du pain, mais aussi un couteau, une paire de ciseaux, une barre de fer, une lame de rasoir et également un pistolet chargé d’une balle.
Alors que peu de choses se passèrent au début, la performance a commencé à dégénérer à partir de la 3ème heure où les personnes commencèrent à utiliser les objets de destruction : elle fut déplacée, attachée sur une table. Un homme lui déchira ses vêtements avec une lame de rasoir et beaucoup en abusèrent. Elle a finalement été agressée violemment pendant les deux dernières heures, restant tout le long immobile.
À la fin de la performance, elle était tellement abimée que plus personne n’osait la regarder dans les yeux, elle n’était plus un objet mais redevenue une humaine massacrée qui leur renvoyait leur propre honte.
On retiendra toutefois qu’un groupe de protecteurs s’est formé pendant les scènes de violence, la protégeant alors de ce qui aurait pu être plus grave.
À l’issu de la performance, l’artiste se livrait « ce travail révèle ce qu’il y a de plus horrible chez les gens. Cela montre à quel point il est facile de déshumaniser quelqu'un qui ne se défend pas ».
Marina Abramović lors de sa performance Rythm 0
La performance a souvent été utilisée par les artistes pour revendiquer certaines choses, exprimer leur mécontentement politique et social et revendiquer certains changements et évolutions de la pensée.
C’est le cas notamment de l’artiste allemand Joseph Beuys lors de sa performance « I like America and America likes me » réalisé avec un coyote sauvage.
Cette performance peut d’ailleurs être décomposée en plusieurs parties : il y a tout d’abord le périple de l’artiste et la performance sur place, les deux étant porteurs de messages politiques forts.
Alors qu’il devait se rendre aux États-Unis pour réaliser sa performance dans une galerie new-yorkaise, il est pris en charge à son domicile en Allemagne par une ambulance : enroulé dans une couverture et les yeux bandés, celle-ci le conduit à l’aéroport direction New York.
Une fois sur place, une deuxième ambulance le prend en charge et le conduit jusqu’à la galerie René Block. Il refusa ainsi de poser le pied sur le territoire américain protestant de cette contre la Guerre du Vietnam en cours.
Une fois arrivé dans la galerie, il s’enferma pendant plusieurs jours avec un Coyote sauvage du désert Texan dans une cage. Cet animal étant le symbole du peuple amérindiens avec la conquête de l’Amérique, il protesta ainsi contre une société de consommation de plus en plus capitaliste.
1974, © Artists Rights Society (ARS), New York
La performance c’est donc beaucoup de choses. C’est d’abord une pratique artistique contemporaine qu’il est difficile de qualifier. L’originalité, la fulgurance, l’éphémère et l’utilisation de la personne de l’artiste sont des caractéristiques identifiées de cet art. Mais ce ne sont pas les seuls.
C’est un art qui se veut parfois le reflet d’une réalité, lorsqu’il invite les spectateurs à s’exprimer et à y prendre part, parfois non sans risque comme on a pu le voir.
C’est un art profondément contestataire, qui peut être politique. C’est un art qui souvent transmet la pensée et les combats des artistes.
C’est une pratique artistique où, pour la comprendre, le mieux reste d’y assister.
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