Oriane Auzerie Dubon - 4 février 2021
L’expressionnisme est un courant artistique de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. Marqués par la volonté d’exprimer leurs émotions, les artistes vont tendre à déformer la réalité objective par le prisme de leurs sentiments. Ils expriment ce qu’ils ressentent et veulent provoquer une émotion ou réaction chez les spectateurs.
L’expressionisme est un courant artistique qui s’inscrit dans la période de l’art moderne de l’histoire de l’art.
Ce courant apparait au début du XXème siècle en Europe du Nord et notamment en Allemagne. Plus qu’un courant, il s’agit surtout de rompre avec les impressionnistes, et plus largement avec l’académisme et ses règles. Contrairement aux impressionnistes qui vont dépeindre la réalité de façon la plus vraie possible, les expressionnistes vont quant à eux dépeindre une réalité plus subjective et pessimiste.
Pour comprendre l’expressionniste il convient de revenir rapidement sur la chronologie et les caractéristiques les plus importantes des mouvements l’ayant précédé.
En effet, l’impressionnisme est un courant de la seconde moitié du XIXème siècle qui se caractérise par la volonté des artistes de peindre la réalité de ce qu’ils voient, surtout des paysages, tout en captant un moment fugace produit par des phénomènes naturels. Par exemple dans le tableau « Soleil levant » de Monet, on voit bien que la lumière du matin est plutôt rose, assez douce, d’une faible intensité, et qu’elle peut donner à voir des reflets roses sur l’eau. Monet retranscrit ce qu’il voit du paysage dans sa peinture. D’ailleurs, les impressionnistes font partie des premiers à peindre en plein-air.
SOLEIL LEVANT, CLAUDE MONET, 1872
Plus tard, en 1905, le fauvisme apparait en Europe et précisément en France. Composé de plusieurs jeunes peintres, ce mouvement rompt avec l’impressionnisme, rejette les paysages et la réalité pure. Ils vont commencer à utiliser des couleurs vives, voire violentes, et à transformer la réalité. Un des peintres les plus célèbres de ce mouvement est Henri Matisse.
Le fauvisme est donc précurseur de l’expressionisme et va même certainement l’influencer.
10 ans plus tard, l’expressionnisme apparait en Allemagne et va aller encore plus loin que le fauvisme. Les peintres expressionnistes, menacés par la Première Guerre mondiale, peignent des toiles plutôt figuratives dans lesquelles ils peignent une réalité plus subjective. Dans leur art, ils expriment les sentiments qu’ils ressentent par rapport à une époque qu’ils rejettent. Ils transforment la réalité objective (souvent hypocrite), par le biais de leur interprétation propre, en espérant provoquer une réaction chez le spectateur.
Leurs œuvres, aux couleurs violentes, sont souvent angoissantes, presque agressives et plutôt figuratives. Ils cherchent à reproduire « l’intensité de l’expression ».
À cette époque, l’expressionnisme est mal accueilli. En effet, alors que la caricature qui tend forcément à l’expressionnisme est acceptée sous le prétexte de l’humour, l’expressionnisme ne reçoit pas le même accueil, jusqu’à être condamné par le régime nazi, qui considère cet art de « dégénéré ».
Effectivement, contrairement à la caricature, les expressionnistes ne déforment pas par dérision mais selon leurs propres interprétations, elles-mêmes liées à leurs émotions (crainte, angoisse, désarroi…).
Pour aller plus loin et comprendre ce qu’est vraiment ce courant artistique, regardons plutôt certaines œuvres.
LA NUIT ÉTOILÉE, VINCENT VAN GOGH, 1888
Pour Van Gogh, l’expressionnisme est la déformation de la réalité : il part de ce qu’il voit, et il va délibérément modifier les couleurs, les détails… Les sentiments qu’il éprouve sont alors à l’origine de ses modifications ou ajouts. Sa vérité et son interprétation lui sont propres et c’est cette subjectivité qui est l’essence même de l’expressionnisme.
À travers sa peinture « La nuit étoilée », c’est sa folie qui transparait. Quelques mois avant de peindre cette œuvre, il se fait interner dans un hôpital psychiatrique pour échapper à ses pensées suicidaires.
Sa maladie, sa folie, son désarroi, influencent totalement son art : on le voit sur ce tableau, où la nuit semble agitée, mouvementée et tourbillonnante. On se sentirait presque aspiré par ce ciel, comme par une tornade. Même le village semble être pris dans cette spirale.
Si le bleu pourrait être aussi la couleur de la sérénité, cette peinture est à la fois sublime et terrifiante.
LE CRI, EDVARD MUNCH, 1893
Ce tableau est particulièrement caractéristique du mouvement expressionniste. On voit très clairement « l’intensité de l’expression » recherchée par les peintres de ce mouvement. Aussi, à travers cette œuvre on voit bien que les expressionnistes n’idéalisent plus la « beauté académique ».
On voit au premier plan de cette œuvre un personnage difforme (aux traits largement et volontairement simplifiés) qui semble terrifié. Derrière, le ciel, presque apocalyptique, tourbillonne et semble converger vers lui. Ce ciel, rajoute de la terreur à celle déjà exprimée par le visage.
La bouche est ouverte, les yeux écarquillés. Il semble se boucher les oreilles : ce n’est donc peut-être pas lui qui crie, contrairement à ce qu'on pourrait croire au départ. Selon le professionnel de l’histoire de l’art E.H Gombrich, « l’impression de terreur prend toute sa force du fait que la cause en demeure mystérieuse ».
À travers ses œuvres, Munch a la volonté de « symboliser les émotions humaines » et les « impressions de l’âme ». Dans cette toile c’est évidemment la peur, l’angoisse et même la terreur qu’il exprime. On ressent en effet assez bien la tension psychologique et l’anxiété de l’artiste ainsi que son désarroi existentiel.
La mort, la maladie, la dépression, l’anxiété sont des thèmes récurrents des œuvres de Munch. L’art est pour lui cathartique : il y exprime ses émotions.
Munch aura véritablement marqué l’histoire de l’art et aujourd’hui son œuvre « Le cri » est largement reprise par la pop-culture.
LE BESOIN, LITHOGRAPHIE DE KÄTHE KOLLWITZ, 1893 - 1901
Comme évoqué précédemment, une des caractéristiques de l’expressionnisme est la volonté des artistes de s’éloigner des codes de beauté établis par l’académie. Les artistes, jusqu’à présent, idéalisaient la nature et la société mais ce n’est plus le cas avec les expressionnistes.
Nombreux sont ceux qui vont dépeindre la société telle qu’ils la voient et qu’ils la vivent : ils montrent alors une société où la pauvreté et la dureté de la vie sont très présentes. À travers leurs tableaux, ils donnent à voir la misère humaine et souhaitent ainsi provoquer une réaction en critiquant vivement la société dans laquelle ils vivent.
C’est le cas notamment de l’artiste allemande Käthe Kollwitz qui avait une véritable compassion au regard de la pauvreté humaine. Elle peignait cette misère humaine que la société préférait occulter et ne pas voir.
Sur cette lithographie, on voit plusieurs personnes dans un petit espace qui semble assez délabré.
Au premier plan, on voit un homme se tenir la tête dans les mains, signe de désespoir. Un enfant, devant lui, semble être en train de mourir.
L’artiste avait, dans les années 1890, réalisé une série d’illustrations autour des sujets du chômage et de la détresse sociale.
Alors que sa série devait recevoir une médaille d’or, E.H Gombrich raconte que « le ministre de tutelle conseilla à l’Empereur de ne pas lui accorder, " compte tenu du sujet de l’œuvre et de son exécution naturaliste, entièrement dépourvue d’éléments modérateurs ou conciliants " ».
Il s’agit là d’un élément assez révélateur du rejet de l’expressionnisme et de la volonté de ses artistes, d’exprimer les passions de leur époque.
COMPOSITION VII, VASSILY KANDINSKY, 1913
L’expressionnisme n’a pas toujours été sombre et pessimiste. Avec Kandinsky c’est même l’inverse. Ses œuvres sont ultra colorées et lumineuses. Kandinsky est un des premiers artistes de l’abstraction. Il rejette l’art figuratif, persuadé que les émotions peuvent être transmises à travers des formes et des couleurs.
Dans les années 1910 il réalise un ouvrage qui s’intitule « Du spirituel dans l’art » dans lequel il assure que la couleur peut être un vecteur d’émotions. Il associe le bleu à la froideur qu’il oppose, au jaune qu’il caractérise de « chaud et agressif ». Aussi, il décrit que le « rouge vermillon » donne une impression « de force, d’énergie et de fougue » alors que le blanc exprime quant à lui le silence.
Dans ses œuvres, on retrouve les contrastes et les oppositions entre ces couleurs, et selon lui c’est cela qui provoque des émotions chez les spectateurs.
Matisse l’aura profondément influencé dans son travail des couleurs et Picasso dans son travail sur les formes. Il a été également très influencé par la musique.
Cette peinture "Composition VII", a été réalisée à l’huile sur toile par l’artiste et mesure 200 x 300 cm. Il rompt totalement avec les couleurs sombres et le figuratif en optant pour des couleurs vives et lumineuses et des formes abstraites.
En effet, les formes et les couleurs semblent résonner et dialoguer entre elles. La musicalité est très présente dans cette œuvre où il tend à représenter les « couleurs qu’il entend et qu’il voit ».
Cette œuvre nous procure à la fois un sentiment de joie, de mouvement et de musique (voire presque de cacophonie).
L’expressionnisme, c’est donc d’abord et surtout l’expression des sentiments des artistes, et leur volonté de transmettre une émotion au spectateur.
Alors que certains privilégient l’art figuratif pour exprimer leur désarroi ou même leur aversion pour la société et les terribles conditions humaines dans lesquelles se trouve une partie de la population, d’autres vont privilégier l’expression de sentiments plus légers, à travers une abstraction très colorée et résonnante.
L’expressionnisme, d’abord rejeté, est aujourd’hui un courant majeur et phare de l’art moderne. Ils sont les premiers à rejeter le concept de beauté académique et à expérimenter une peinture plus émotive.
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