Alice Maigron & Julie Gueudet - 23 juin 2022
Jelena dans son atelier avec une œuvre en cours de réalisation
Jelena se rappelle dessiner depuis son plus jeune âge, à l’école, puis au lycée de design pour ensuite continuer tout au long de sa carrière. Depuis son enfance, elle cherche à inclure le dessin dans son futur métier.
« Quand j’étais enfant, je savais que je voulais travailler dans un métier où l’on peut dessiner, mais je n’ai pas directement pensé à devenir artiste. »
Grâce à son grand-père et sa mère, tous deux architectes, elle baigne dans le milieu de l’art et de l’architecture. C’est ainsi que lors de ses premières recherches de métiers, elle se tourne d’abord vers l’architecture.
« Je me disais qu’il fallait que je trouve un métier où je peux dessiner le plus possible. J’ai donc pensé à l’architecture comme c’était le métier qu’exerçaient ma maman et mon grand-père. Et plus tard, je me suis rendue compte qu’en étant artiste je dessinerais plus. J’ai décidé d’emprunter cette voie, qui me correspondait mieux. Même si cela m’a pris du temps, ce qui compte c’est que maintenant j’ai trouvé ma voie. »
Pendant toutes ces réflexions et changements de caps, la mère de Jelena a été et reste un soutien sans faille. « Ma mère ne m’a jamais poussée à faire de la peinture ou à prendre un autre chemin, mais elle m’a toujours dit de faire ce qui me rendrait heureuse. Elle m'a toujours soutenue et suivie dans tout ce que je souhaitais faire. »
Pour Jelena, son passage en architecture, même si rapide, a été très bénéfique au développement de sa pratique artistique grâce à la communauté d’architectes-artistes qu’elle a pu rencontrer et à la manière de structurer sa pensée et ses idées qu’elle y a appris.
« Je ne regrette pas mon choix d’orientation. Je suis contente d’avoir fait architecture, cela m’a permis de faire partie de cette communauté d’architectes, qui comme moi se sont réorientés. J’ai donc pu construire un réseau d’artistes. »
« Je pense que l’école d’architecture a été nécessaire dans mon développement. Quand j’étais plus jeune, j’avais trop d’idées dans tous les sens. J’avais besoin de me poser. J’étais trop dispersée avec toutes mes idées, coincée dans trop de liberté, je n’arrivais pas à concentrer toute mon énergie sur une chose. L’école d’architecture m’a permis de me donner un peu de contraintes, plus de technique, à aiguiser mon œil, et surtout à comprendre ce que j’aime et ce que je n’aime pas. »
Jelena fait une comparaison intéressante entre son art au lycée où elle a développé sa technique et de l’école d’architecture où elle a appris à dompter ses idées.
« Quand on peint dans le cadre du lycée, on suit un sujet spécifique. On peint comme on nous dit de peindre, on n'a plus de limites et pas le choix de faire tout ce que l’on veut comme lorsqu’on est petit. J’étais, au début, un peu perdue parce que je me rendais compte que je ne voulais pas me restreindre, ni me concentrer spécifiquement sur ce qu’on me disait.
Ces années en art m’ont aidé à gagner en précision avec les règles, et cette phase de ma vie me permet aujourd’hui de pouvoir apprécier pleinement la phase d'artiste de ma vie. Mais la possibilité de me redisperser m’a manqué.
Cela m’a aussi aidé à comprendre que j’aimais la liberté, mais surtout ce que je voulais faire spécifiquement. Les limites imposées m’ont donné plus de clarté pour comprendre ce que je voulais. Maintenant, j’ai gagné en expérience, j’ai pu librement me redisperser, dans le sens que je souhaitais. »
Jelena, dans son processus créatif, aime prendre son temps. Quand elle a une idée, elle l’imagine, la visualise et elle va progressivement la dessiner dans sa tête. Lorsqu’elle est claire et définitive elle la réalisera. Chacune de ses œuvres vient d’une idée qu’elle souhaite transmettre à un public.
« Pour mon processus de création, vu que j’ai assez d’expérience je peux me créer une image dans ma tête de ce que va être mon prochain tableau. Après j’aime prendre l’air et penser. Mes pensées marchent toutes seules et mes idées se concrétisent. Seulement quand elle est devenue claire, je me rends à mon atelier pour commencer à dessiner et peindre. »
Sa table de rangement des peintures
Dans sa phase de création d’une œuvre, elle fonctionne en plusieurs étapes en restant guidée par une petite improvisation : elle dessine aux fusains, pose les différentes couches de peinture à l’huile et fait les finitions de ce qu’elle a imaginé en y ajoutant des éléments imprévus. Ces éléments imprévus peuvent être un changement de couleurs ou de détails mais la base ne change pas, elle reste très proche de ce qu’elle a imaginé.
« Le fusain me permet de pouvoir bouger les lignes et d’utiliser mes doigts. Quand je mets une première couche de fusain c’est assez gris mais ça me permet de construire les parties sombres et les parties claires de l’œuvre.»
« Au départ je mets une première couche de peinture à l’huile, puis les deuxièmes couches, et les troisièmes couches. Pour les détails finaux, il faut que tout soit complètement sec pour éviter les mélanges avec les couches d’en dessous. L’huile requiert beaucoup de patience, mais ce n’est pas plus mal parce que, pendant ce temps, ça me donne un temps de réflexion, je prends du recul sur mon œuvre pour ne pas me précipiter. Et je peux aussi retravailler les couleurs si je le souhaite, donc je peux changer d’avis. »
Œuvre en cours de réalisation : le corps gris, non coloré dû à la technique qu’elle utilise en appliquant d’abord du fusain
Jelena, dans sa création, utilise très peu d’image de référence pour ses portraits. Les quelques images sont utilisées entre la phase de réflexion et la réalisation de l’œuvre. Lorsqu’elle peint elle laisse place à son imaginaire et ses pensées libres et à l’image présente dans sa tête. En revanche, pour la réalisation des plantes qui sont omniprésentes dans ses créations, elle aime les reproduire presque à l’identique et donc par des images de référence.
« Généralement, je regarde plusieurs photos pour les poses et pour placer les lumières. J’aime bien voir plusieurs trucs avant de me lancer. Mais quand je me mets à peindre, j’arrête de regarder ces éléments.»
« C’est surtout pour les plantes que j’utilise des références, car j’aimerais être relativement proche de leur aspect dans la nature. »
Jelena nous décrit en quelques mots ses inspirations et notamment sa principale : sa vie. Pour elle, son art est une recherche personnelle sur le monde tel qu’elle le vit et le voit, dans une société compliquée et pleine de règles.
« L’inspiration c’est la vie. Quand j’étais petite j’avais besoin de comprendre comment fonctionne la vie autour de moi, de me connecter avec le monde et ce qui m’entoure.
Pour moi, mon inspiration, c’est ce qui me parle, mes propres expériences, la condition humaine, la spiritualité, la nature, et plus largement l'expérience existentielle. C’est ce qui m’aide à comprendre mon entourage.
Je pense que c’est un besoin qu’on a tous. Comme on peut le voir avec les religions ou avec la science, l’Homme cherche toujours un moyen de justifier la vie, un besoin d’expliquer certaines choses. Pour moi, l’art c’est vraiment une recherche personnelle, une recherche de moi, de ma vie. »
Le sujet clé des œuvres de Jelena est la femme. En effet, Jelena fait de nombreux portraits de femmes de tous types et styles différents qu’elle met en scène de façon très originale. Elle définit également ses œuvres autour de deux autres axes : les couleurs et la géométrie.
« Le point clef de mes œuvres est la femme, dont je fais beaucoup de portraits. »
« Ensuite, je dirais les couleurs. Depuis que je suis petite, j’adore les couleurs fortes. Je n’ai jamais été intéressée par les couleurs neutres, un peu mornes ou fades, que je trouve trop proches de la réalité. »
« Enfin, j’inclus aussi beaucoup de géométrie dans mes œuvres. J’aime séparer les parties du corps, l’arrière-plan, et je pense que cette « organisation géométrique » vient de mon côté architecte. »
Ses œuvres accrochées dans son atelier
Elle aime travailler la femme, et étant elle-même une femme elle se sent connectée à ses œuvres, elle peut s’y identifier et même par moment se représenter où y inclure des parties de son corps.
« Tout ce que je veux exprimer/montrer est parfaitement représenté par le corps de la femme. Je veux représenter des femmes fortes, mais avec douceur, sans violence. Quand je parle de force, je ne parle pas forcément de force physique ou musculaire, mais d'une force intérieure. Je trouve aussi qu’il y’a plus de choses à dire avec la femme, comparé aux hommes ou il y’a beaucoup de choses que je ne peux pas trouver. Et aussi parce que selon moi, le corps de la femme est plus esthétique. »
Son attrait pour la couleur a été fortement inspiré par Vincent Van Gogh.
« Vincent Van Gogh m'a beaucoup aidé dans ma vie parce que j’ai longtemps eu peur d’utiliser plein de couleurs fortes. Au départ ce n’était pas très bien vu quand j’étais petite ou dans mon lycée de design.»
Un autre artiste qui l’influence fortement en ce moment est James Jean, peintre, illustrateur de comics américain.
« En ce moment c’est James Jean l’artiste que j’admire le plus. Il y a une sculpture très connue avec un enfant qui tient un œil de lui, c’est une pièce que j’aime beaucoup. »
« Slingshot Saxum » de James Jean
Pendant l’interview, elle nous a parlé de la dernière œuvre qu’elle a réalisée, elle s’appelle « Growth ». Elle nous explique les raisons de sa création et nous confie que le grain de beauté qu’elle a mis sur la petite fille est le sien.
« J’ai créé un tableau qui parle de la difficulté de se voir objectivement en grandissant à cause du regard des autres et du jugement. Pour moi, c’est seulement après avoir grandi spirituellement que l’on peut atteindre cet objectif.
Autour de nous, tout le monde essaye de nous dire qu’on est ci ou ça, et donc en grandissant on a plein d’idées pré-données sur nous qui ne sont pas les nôtres.
Trop de choses nous bloquent dans la vie quand on est jeune. Il faut donc travailler sur nous-mêmes pour apprendre à mieux se connaître. Et c’est seulement plus tard que l’on peut se voir objectivement.
Encore aujourd’hui je n’y suis toujours pas à 100%, mais j’y travaille encore, et c’est pour ça que j’ai travaillé sur cette œuvre. »
JELENA & PARIS
Un heureux hasard a guidé Jelena vers la France et notamment Paris, où elle réside depuis maintenant 7 ans.
« Dans la vie, on n’a pas toujours d’explication, c’était un accident. J’étais en vacances et je suis tombée amoureuse de quelqu’un ici, et on a décidé de s’installer à Paris. Je venais de finir mes études donc j’étais flexible.
J’adore Paris ; je pense qu’il y a beaucoup d’opportunités pour les artistes, ce qui me donne la sécurité de pouvoir exercer ce que je veux faire : de l’art sans être architecte. C’est important pour moi de pouvoir vivre de mon art. »
L’exposition rêvée de Jelena
Ses œuvres étant en lien avec la nature, Jelena souhaiterait organiser une exposition où ses œuvres seraient disposées à différents endroits d’un jardin botanique. Elle déborde d’idées qui permettraient de participer à la désacralisation de l’œuvre d’art en général.
« J’ai beaucoup d’œuvres avec de l’eau, j’aimerais par exemple les arranger avec un étang dans un jardin. »
« J’aimerais bien aussi que les gens puissent se poser avec mes œuvres dans l’herbe et se reposer. Pas comme dans un musée, où il y a beaucoup plus de froideur. »
« Je trouve ma paix avec l’art et la nature. Une ambiance qui mélange les deux, serait parfaite en termes de sérénité ; entendre l’eau qui tombe, les oiseaux qui chantent, l’air qui fait bouger les branches, etc. »
Œuvres "Symbiosis", accrochée dans son atelier
Jelena, artiste peintre de la galerie depuis maintenant 1 an, nous a partagé son ressenti sur notre concept de galerie d’art en ligne.
« J’aime beaucoup la démarche de louer l’art. En fait, je cherchais une organisation pour spécifiquement louer mes tableaux. »
« Avec mes expositions, j’ai vu qu’il y avait comme une frontière entre les gens et l'art. En plus, l’atmosphère des galeries est parfois un peu froide. Je trouve qu’avec The Art Cycle, cette distance entre l’art et l’homme disparait. On n’a plus nécessairement besoin d’acheter plusieurs œuvres, mais on peut en prendre une, puis changer selon ses envies. »
« Je cherchais vraiment à pouvoir travailler avec l’art d’une façon différente, et pas juste avec une galerie qui vend et reste à distance du public. »
Rencontrer Jelena dans son atelier, fut un réel plaisir, qui nous a permis de nous plonger dans son monde coloré, autour de la femme et de la nature, travaillées sous des formes très différentes.
Merci encore Jelena pour cette belle rencontre et cet échange plus qu’enrichissant !
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