Il y a quelques semaines, nous sommes allés à la rencontre de Laurent Paillier, un photographe de danse et de spectacles. Lors de cet échange, il nous a révélé ses sources d’inspirations et sa démarche artistique
"La matière de la danseuse", Laurent Paillier
Au cours de sa carrière, Laurent a pu s’essayer à la photographie de mode, de concert et de presse mais sa véritable passion réside dans la photographie de danse.
Il a eu l’occasion d’immortaliser des spectacles de danse classique comme contemporaine, pratique qu’il préfère photographier.
« Dans la danse classique, on peut anticiper ce qui va se passer, tandis qu'en contemporain, on est constamment surpris par des scènes inattendues. J'ai besoin de cette surprise pour créer de belles photos et m'immerger dans l'histoire. »
Ce choix pour la danse contemporaine est avant tout lié à la créativité de Laurent et à ses aspirations artistiques. Contrairement aux autres danses, celle-ci est bien plus imprévisible et spontanée car elle n’est pas codifiée, tout peut arriver, comme c’est le cas dans la vie. C’est cette idée qui intéresse Laurent et qui nourrit son travail.
« C’est la célébration du vivant à travers le mouvement du corps qui me passionne. Le corps en mouvement, voilà ce qui m'anime. J'aime capturer la vie et lui apporter une esthétique personnelle basée sur la manipulation de la lumière, la quête d'une ambiance, le désir de créer une image qui puisse inspirer le spectateur et lui raconter une histoire. »
Cette idée d’immortaliser la vie, le mouvement et l’énergie ne date pas d’hier. Enfant, il capturait le vivant, en photographiant les animaux et notamment des parades nuptiales qui peuvent, pour certaines espèces, s’apparenter à de la danse. Bien qu’inconsciente à l’époque cette idée était déjà sa principale inspiration.
Laurent est influencé par de nombreux photographes et mouvements dans la photo.
Il est notamment influencé par la photographie humaniste, avec le travail de Henri Cartier-Bresson, par la photographie de portrait, bien que son travail n’ait jamais traité de ce sujet, avec les œuvres de Brassaï et de André Kertész.
« Ce sont des photographes qui ont laissé une marque indélébile sur moi. »
Il est également influencé par les grands maîtres de la photographie de mode, en particulier les portraits et les travaux de Richard Avedon, Irving Penn, Helmut Newton, et à cheval entre le reportage et la mode, Franck Horvat.
« C'est Franck Horvat qui représente le mieux mon influence actuelle. »
On peut constater que les inspirations photographiques de l’artiste sont riches et variées mais celui qui l'a le plus marqué à l'adolescence est le photographe Jean-Loup Sieff. Il a découvert son travail lors d’une de ses expositions consacrées à la danseuse et chorégraphe américaine Carolyn Carlson, et c’est sûrement cette exposition qui a fait naître son envie d’immortaliser les chorégraphies par la photographie.
« Ce qui m'avait particulièrement marqué, c'était le travail sur le corps de la danseuse par le photographe. »
"Carolyn Carlson, Paris 1974", Jean-Loup Sieff
Il y a quelques années, Laurent a bouclé la boucle, en collaborant lui aussi avec Carolyn Carlson en lui consacrant une de ses expositions.
Laurent est également touché par l’art de la musique. Il se reconnaît surtout dans le style du rock : une musique puissante et organique qui n’est pas codée comme les styles qui l’ont précédé. Le rock engage le corps, il inspire à la liberté d’être et à se détacher des normes, ainsi il permet d’être soi, de bouger, de vibrer, d’être vivant. Le rock représente la vitalité.
Laurent a aussi été fortement inspiré par la peinture. Comme dans son art, il y recherche le geste, le mouvement et l’expression du vivant. On peut notamment citer l’artiste expressionniste abstrait Pollock, l’artiste japonais Kazuo Shiraga qui peint avec son corps ou encore « les peintres du geste » Vassily Kandinsky et Juan Miró.
L’artiste Van Gogh a également beaucoup compté dans son développement artistique pour l’énergie vitale que l’on peut percevoir dans ses tableaux, notamment par le biais des gestes du peintre que l’on voit clairement sur ses toiles.
« Ce qui me touche le plus, dans la peinture, c'est lorsque celle-ci révèle le travail corporel de l'artiste. »
Laurent a deux pratiques bien distinctes dans la photographie : la photo de spectacle et la photo en studio.
En ce qui concerne sa pratique de la photo de spectacle, c’est le plus souvent, les théâtres ou les compagnies qui invitent Laurent à photographier leurs représentations de danse. En effet, suite à sa première exposition, Laurent a eu la chance d'être repéré, par la référence des magazines de danse de l'époque. Ses photos étaient publiées dans les plus importants journaux et magazines français et étrangers (Libération, Le Monde, The Times...) et dans de nombreux magazines et livres d'art.
Extrait d'un article du monde publiant une photo de spectacle de Laurent Pailliers
Après avoir reçu une invitation, le photographe plonge dans le travail du chorégraphe. Une fois séduit par son travail, Laurent prend contact avec lui et commence à suivre de près son travail. Ensemble ils discutent pour préparer et mettre en forme leur collaboration.
« Les chorégraphes contemporains travaillent souvent de manière novatrice avec la musique, la lumière, et la scénographie, toujours en quête de nouvelles expérimentations. C'est pourquoi j'apprécie également beaucoup travailler avec de jeunes chorégraphes. Ils apportent un élément de nouveauté et d'audace, ce qui me permet de saisir des moments uniques avec mon appareil photo. C'est un domaine en effervescence, et j'aime en être le témoin. »
La partie compliquée de son travail sur les spectacles est l’editing (le choix) des photos. « C'est peut-être la partie la plus difficile, car nous avons nos propres goûts, mais nous ne savons pas nécessairement ce qui plaira aux autres. »
En effet, bien que Laurent ait des aspirations artistiques lorsqu’il photographie des spectacles, il ne doit pas oublier la dimension commerciale de son travail. Le tout n’est pas simplement de faire de l’art, il doit s’assurer de retranscrire la vision et le message du chorégraphe sans dénaturer son spectacle. Les photos doivent plaire au chorégraphe tout en figeant son travail et sa vision pour que ce dernier les achète afin de promouvoir son spectacle.
"Danser la peinture " Lucio Fontana dansé par Maria-Jesus Sevari © Laurent Paillier
A côté de la photographie sur scène, il aime travailler en studio. C’est pour lui, un travail plus personnel.
"Dos majeur", Laurent Paillier
Dans ce cadre plus intime, Laurent se permet d’explorer plus en profondeur la mise en scène car seule sa vision compte. A chaque fois Laurent part d’une nouvelle idée : on ne retrouve jamais la même Lumière sur ses différents shoots il tend à faire évoluer sa photographie pour se réinventer.
Laurent n’a pas de technique à proprement parlé, ni de processus artistique défini, pour immortaliser ces moments. Pour lui la technique n’est pas essentielle. En effet, les techniques et les technologies évoluent rapidement, et chaque nouvelle innovation permet d’expérimenter une nouvelle façon de travailler.
« C'est intéressant de vivre ces évolutions dans mon métier. À chaque fois, c'est une quête de nouveaux angles et idées, tout en cherchant à plaire à soi-même et aux autres. ».
Dans ses différentes pratiques, sa seule constante est la couleur, et ainsi il ne travaille jamais en noir et blanc.
Dans ses 30 ans de carrières, le projet qui a rendu le plus fier Laurent est son livre « Danser la peinture » publié en 2016 par Les Nouvelles Editions Scala. Ce livre, en collaboration avec l'écrivain et critique de danse Philippe Verrièle, est le fruit de 5 ans de travail. Il réunit les principales inspirations de l’artiste : la photographie, la danse et la peinture.
"Danser la peinture", Laurent Paillier
Le concept est simple : choisir un chorégraphe et lui attribuer un plasticien. Ainsi, il a demandé à des chorégraphes de danser en réponse à des œuvres picturales.
Chaque séance dansée et photographiée est représentée par une dizaine d’images. Ces images sont accompagnées d’un texte sur le plasticien qui explique son lien à l’art chorégraphique et d’un texte sur le chorégraphe qui explique sa relation avec la pratique du peintre.
Pour Laurent, ce livre est le plus grand accomplissement dans sa carrière. Le livre a d’ailleurs été récompensé par L’association professionnelle de la critique Théâtre, Musique et Danse en 2016 avec le Grand Prix de la Critique dans la catégorie « meilleur livre de danse ».
Photo d'un extrait du livre "Danser la peinture" de Laurent Paillier
Parfois, il arrive que Laurent poursuive sa collaboration avec un chorégraphe au-delà d’un spectacle. En ce moment, il travaille avec le chorégraphe Jean-Christophe Bleton avec qui il a collaboré il y a plus de 30 ans, au début de sa carrière. Ensemble, ils réalisent un projet d'exposition, un livre, une exposition, et un spectacle. « Quand j'ai découvert son travail au début de ma carrière, je l'ai suivi de près, et nous avons continué à travailler ensemble. »
Laurent travaille aussi actuellement sur un projet qui se penche sur le thème de la danseuse et de la maternité. Cela reste dans la même thématique de célébration de la vie, cette fois-ci par la transmission de la vie et la création de la génération suivante.
Ce projet est toujours basé sur la danse, mettant en scène une maman, danseuse professionnelle, avec son enfant en train de danser. En parallèle, il aborde également un aspect social, en explorant les défis qu'une danseuse professionnelle peut rencontrer après avoir eu un enfant, notamment les transformations de son corps et la difficulté de se consacrer à la scène tout en ayant à être présent pour l’enfant.
« Certains chorégraphes, imaginent plus souvent leur spectacle avec des danseuses n’ayant pas eu d'enfant. Ces questions ne se posent pas pour les danseurs. »
Derrière chacune des photos, Laurent ajoute le témoignage de la danseuse qui partage son expérience, que ce soit en tant que mère ou en tant que danseuse.
"la danseuse et l'enfant", Juliette et Lou ©Laurent Paillier
Émergence, vivant, matière
• • •La rencontre avec The Art cycle
La collaboration entre Laurent Pailler et The Art Cycle est assez récente.
« J’apprécie le contact que j’ai avec l’équipe, j’ai tout de suite été séduit par l’aspect familial de la galerie et par l’accueil chaleureux qu’ils m’ont réservé. »
PARTAGEZ CET ARTICLE !